François de Roubaix, de Chapi-Chapo à Robbie Williams
Un génie méconnu
Pick-up allumé, saphir déposé délicatement sur le sillon du vinyle, c’est l’heure d’exhumer le disque qui regroupe les compositions de François de Roubaix, génie hélas un peu méconnu du grand public. Il est pourtant apprécié par des adorateurs malheureusement plus élitistes.
Pendant que le saphir parcourt sensuellement les reliefs du sillon et que « la musique creuse le ciel », j’essaye de me rappeler la première fois où les notes de François de Roubaix se sont glissées dans mon oreille.
Si mes souvenirs sont bons, ça devait être en 2001 lors de la diffusion d’un film avec Alain Delon qui racontait l’histoire d’un tueur en série taciturne à la dégaine proche des héros des films de John Woo. En effet, l’allure, la sobriété et l’économie du jeu de Delon n’étaient pas sans rappeler l’aspect monolithique de Chow Yun Fat dans « The Killer de John Woo.
La filiation était évidente, Melville aurait-il copié le génial réalisateur Hongkongais ?
La jeunesse excuse tout, même une méconnaissance cinématographique qui, à l’époque, était en effervescence allant de Tarkovski à Bergman en passant par Mocky et laissant derrière eux, pour un temps, des réalisateurs tels que Michael Bay, Stephen Norrington ou même Roland Emmerich…
« The Killer », hommage discret d’un metteur en scène à un autre, d’un continent à un autre, deux films incontournables.
La différence est que l’un des deux possède l’une des bandes-son les plus admirables du 7ème art, elle fut composée par François de Roubaix.
Une carrière très courte
La carrière des génies est souvent fulgurante et très courte. A l’instar d’un James Dean dont l’œuvre cinématographique ne dépasse pas les 5 ans ou celle d’un Van Gogh qui ne trouve l’inspiration que sur une courte période de 4 ans, François de Roubaix, lui, ne composera que pendant à peine 10 ans et connaîtra une fin tragique, victime des profondeurs de l’océan.
Il était passionné de plongée sous-marine !
Son amour des grands fonds aura raison de lui un jour de novembre 1975, où il refusa de suivre le « fil d’Ariane » qui lui aurait permis de retrouver son chemin dans l’obscurité des profondeurs.
Le nom de « de Roubaix » ne parle peut-être pas à un grand nombre et pourtant les fans de Robbie Williams se souviendront forcément du thème de sa chanson « supreme », tiré de la bande originale du film de José Giovanni « Dernier domicile connu » ainsi que ceux de Lil’ Bow Wow et de son « that’s my name ».
A 0:44 le thème original :
Repris plus tard par Robbie Williams :
Un César tardif
Véritable autodidacte, loin d’un apprentissage académique de la musique, fan de Jazz, de Roubaix se forme sur le tas en composant des musiques publicitaires et des compositions pour courts-métrages. L’un d’eux scellera sa rencontre avec Robert Enrico et le cinéma. Onze films ensemble et un classique, la Bande originale du film « Le Vieux Fusil ». Le film remportera le césar de la meilleure musique… décerné à titre posthume à François de Roubaix.
Capable de réaliser des B.O de films sérieux tel que R.A.S de Yves Boisset ou « la scoumoune » de José Giovanni, il réalise l’une des meilleures musiques de film pour Louis de Funès, le mémorable « L’homme Orchestre », oscillant entre musique pop et jazzy, qui fera dire à Louis de Funès qu’il est plus facile d’être élégant sur une bonne musique. « L’homme-orchestre » aura vu naître l’amitié entre le compositeur et Olivier de Funès, qui était plus à l’aise en tant que batteur qu’acteur.
« Ma connivence avec François de Roubaix m’octroie une indépendance salutaire… La ferveur de ce grand compositeur à s’intéresser à mes modestes talents de percussionniste me donne une confiance que le travail d’acteur me vole chaque jour. »
(DE FUNES, Olivier, DE FUNES, Patrick. Louis De Funès : Ne parlez pas trop de moi, les enfants ! Paris : Le Cherche-Midi, 2013)
Les deux hommes travailleront ensemble non seulement sur le film de Serge Korber mais aussi sur un autre film de Robert Enrico : « Un peu, beaucoup, passionnément ». Leur collaboration donnera lieu à une petite pépite où le fils de Louis de Funès se livre à une performance totalement déjantée :
De Roubaix, le libre-bidouilleur
De Roubaix naviguait avec maestria entre musique électronique et acoustique à une époque où les synthétiseurs n’étaient qu’à leurs balbutiements. Multi-instrumentiste, découvreur d’instruments et véritable pionnier en matière d’arrangements, il restera un compositeur à part dans le paysage cinématographique français de l’époque. En 1972, ce génie, en bon bidouilleur sonore qu’il était, transforme son appartement en studio d’enregistrement 8 pistes où il aura tout le temps d’expérimenter toutes sortes de trouvailles sonores.
La fascination qu’exerce encore de Roubaix sur les jeunes générations provient essentiellement du fait que son œuvre est restée intemporelle : Chapi Chapo, les Chevaliers du Ciel, Adieu l’ami, Jeff et j’en passe.
La musique au-delà des mots
Le saphir poursuit son chemin dans le sillon et ma pensée s’égare à chercher une musique d’un film récent qui éveille mon enthousiasme : la partition de Ryuichi Sakamoto pour le film « Snake Eyes » de Brian de Palma me semble une des rares compositions actuelles en phase avec la vision d’un réalisateur, désirant simplement sublimer les images et apporter une dimension supplémentaire au film.
Désormais les compositions des derniers monuments de la musique de films, tel que John Williams pour le dernier « Star Wars », ressemblent aux films qu’ils servent : paresseux et sans ampleur. Longtemps j’ai pensé que la faute incombait aux compositeurs eux-mêmes et puis une autre conclusion s’est imposée, plus aucune place pour une partition n’est de mise à l’heure actuelle.
A une époque où la vitesse supplante tout, où la succession des images est plus importante que le rythme d’une scène, comment pourrait-on encore produire une bande originale si plus aucune séquence n’a de raison d’être mise en valeur ?
Le cinéma parlant a peut-être lui aussi sa part de responsabilité dans la crise de la musique au cinéma.
Ne plus être capable de raconter des histoires sans avoir recours à la parole et pourtant, « La musique est au-delà des mots ». Au commencement était le Verbe, et le verbe était Dieu, pourtant les dieux sont morts et leur cadavre persiste à polluer la planète.
Le saphir achève son parcours, « quelle musique, le silence ».

Stefan Thibeau
L'auteur
Stefan est acteur et réalisateur, amoureux lyrique de Jean-Luc Godard, en quête de forme et de vérité au cinéma. On l’a vu également collaborer avec Jan Bucquoy.